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Interview avec Julien Renaud, de la Librairie Le Square à Grenoble

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Mavou La Mauvaise Herbe : Bonjour Julien ! Peux-tu te présenter en quelques mots ?


Julien Renaud : Bonjour ! Alors, en quelques mots... je suis libraire à la Librairie Le Square depuis 11 ans. Je suis dans la réception du circuit du livre : c'est à dire que j'intègre les stocks dans la librairie, je fais des retours aux éditeurs et en même temps je m'occupe des collectivités. Je suis donc libraire-réceptionnaire-chauffeur-livreur ! En librairie, je peux être présent pour du conseil auprès des clients, plutôt dans les rayons sociologie et Histoire, mais je suis aussi beaucoup en extérieur car je suis en lien avec les bibliothèques et la fac.


Mavou : Cela fait donc 11 ans que tu travailles à la Librairie Le Square, comment as-tu atterri là-bas ?


Julien Renaud : J'ai tout d'abord fait des études d'Histoire et de sociologie, et avec ma compagne nous cherchions à exercer tous les deux en bibliothèque ou en librairie dans la région Rhône-Alpes. J'ai été pris dans un premier temps à la librairie Flammarion à Lyon (qui a fermé depuis) sur un poste avec un service dédié aux collectivités, c'est-à-dire travailler en lien avec les bibliothèques. J'ai donc commencé dans un bureau et je n'étais pas du tout présent dans la librairie : je m'occupais spécialement des commandes pour les bibliothèques de Lyon. Lorsque Flammarion a fermé, j'ai postulé dans plusieurs librairies de Grenoble mais en me disant que le secteur du livre est tellement bouché que cela va être compliqué pour trouver un poste... J'ai donc décidé de faire carrément autre chose : j'ai été ambulancier pendant quelques mois ! Mais finalement, la librairie Le Square à Grenoble m'a contacté car mon expérience avec les bibliothèques et mon appétence pour la sociologie et l'Histoire les intéressait.


Mavou : Peux-tu me dire avec combien de bibliothèques la librairie Le Square est-elle actuellement en lien ?


Julien Renaud : Alors, parfois cela fonctionne par "lots", par exemple avec Grenoble il y a 13 bibliothèques en tout, dans différents quartiers. Nous avons donc certains "lots", c'est-à-dire que l'on peut faire avec certaines bibliothèques uniquement de la littérature jeunesse. Côté bibliothèques municipales, on a pu être en lien avec Eybens, Le Versoud, Domène... Ce n'est plus le cas, mais nous étions également en lien avec Crolles et Pontcharra. Actuellement, il y a Voreppe, Vizille, Pont de Claix, Seyssins (NDLR : coucou.), Saint-Egrève. Il peut y avoir ponctuellement Le Sappey en Chartreuse et Saint Etienne de Saint Geoirs.


Mavou : Et cela change chaque année car ce sont des marchés ?


Julien Renaud : Oui, par contre les marchés peuvent-être renouvelés tous les trois ans, même si cela dépend du fonctionnement des bibliothèques. En ce moment, notre plus gros marché est l'Université Grenoble Alpes (UGA), avec les rayons concernant le Droit, les Lettres, l'Histoire, les sciences du langage... Récemment, j'ai dû leur livrer 12 colis de 20 kilos, uniquement pour la Bibliothèque Universitaire Droit et Lettres. Mon travail de livraison se fait les mardis et jeudis !


Mavou : Justement, peux-tu nous décrire une journée de travail classique ?


Julien Renaud : Les mardis et les jeudis sont mes journées dédiées aux livraisons. La veille, je prépare toujours les colis à livrer aux bibliothèques et puis les jours J, je commence à livrer aux communes les plus loin puis ensuite à celles les plus proches. Les autres jours de la semaine, je m'occupe de la réception en librairie. Tous les matins, un camion arrive de Paris avec nos commandes.


Mavou : Tous les matins ?!


Julien Renaud : Oui, nous recevons tous les matins environ une à deux palettes de livres ! Chaque palette peut faire 300kg maximum, je reçois, en moyenne, entre 200 et 600 kilos de bouquins. Mais très récemment, j'ai reçu, pour un seul matin, 800kg de livres ! J'ouvre donc les colis tous les jours, je contrôle les factures et je mets les livres en stocks, en bipant chacun d'entre eux.


Mavou : Comment se passe la gestion de toutes ces livraisons qui arrivent quotidiennement ?


Julien Renaud : Il y a ce que l'on appelle le réassort : les libraires vendent chaque jour un certain nombre de livres dans leurs secteurs, et ils relancent des commandes en conséquence. Par exemple, un libraire qui a vendu en fin de journée trois exemplaires d'un même livre peut décider d'en recommander cinq. Fiche après fiche, les commandes sont passées auprès des maisons d'éditions à la fin de la journée, vers 18h. C'est un circuit qui est assez rapide, on reçoit en général les livres au bout de deux jours. Lorsque le matin je bipe un livre, il est indiqué si c'est du réassort pour la librairie, auquel cas je classe les livres sur une grande table par rayon (par exemple la jeunesse d'un côté, la BD, les polars de l'autre, etc... ) ou s'il s'agit d'une commande client. Dans ce cas-là, j'ai une étiquette qui sort automatiquement avec le nom du client, et je mets le livre de côté.


Mavou : Cela veut donc dire que si je commande un livre à la librairie Le Square, c'est toi qui verra mon nom ?


Julien Renaud : Exactement ! Je bipe et je verrai ton nom apparaître. Et je t'enverrai un SMS pour te prévenir (rires). J'empile au fur et à mesure les commandes des clients. Chaque jour, j'en ai environ 40. En période de Noël, on peut arriver à 500 commandes clients en une journée. Cette période-là est très intense en librairie, c'est vraiment un travail à la chaîne ! Il faut être très rapide.


Mavou : Oui, on peut observer cela dans les librairies en période de Noël, ils embauchent quasi systématiquement des personnes supplémentaires pour pallier à la hausse de l'activité.


Julien Renaud : Je me charge généralement seul de la réception, c'est donc beaucoup de manutention de bouquins à cette période de l'année.


Mavou : Tous les Noël, je ne dis plus seulement "bonne journée" aux libraires, je rajoute à chaque fois un "bon courage" (rires) !


Julien Renaud : C'est vrai que c'est très intense, mais j'aime bien ! Je préfère un mois de décembre plutôt qu'un mois d'août où il y a seulement 5 colis le matin... Et sinon, tout le reste de l'année, il y a aussi ce que l'on appelle "les retours". Cela concerne les livres qui ne se vendent pas ou qui sont défectueux. Nous en avons à la librairie tout un coin au sous-sol. Et périodiquement, je m'occupe de ces retours. Je contacte un transporteur qui rapporte le tout dans un dépôt. Ce sont les maisons d'éditions qui gèrent la suite de leurs côtés.


Mavou : Peux-tu me dire ce que tu aimes dans ton métier ?


Julien Renaud : Alors bien sûr, être en contact avec les livres. Personnellement, je ne suis pas très "commercial", j'ai un côté plus "bibliophile". Par exemple chez moi, j'ai beaucoup de livres anciens, je traine beaucoup dans les bibliothèques, je réalimente les boites aux livres... J'aime beaucoup aussi l'échange avec les professionnels du livre.


Mavou : Lorsque je t'ai rencontré, j'ai senti que tu aimais beaucoup les échanges avec les bibliothécaires.


Julien Renaud : Oui, j'adore échanger avec eux sur leur passion du livre, c'est ça que j'aime dans mon métier. Et ce que tu fais là à travers tes interviews, raconter les récits de vie et de parcours, j'en ai beaucoup fait en anthropologie et en sociologie et j'adorais ça ! J'allais interroger des gens sur leurs parcours et j'ai été en lien avec des personnes issues de l'immigration : des polonais, des italiens, des ukrainiens et des maghrébains, c'était hyper intéressant ! J'aime bien savoir ce que font les gens avec ce qu'ils ont, comment ils mènent leur vie.


Mavou : Est-ce que tu as des missions que tu préfères à d'autres ?


Julien Renaud : J'aime être en lien avec les bibliothèques. A travers leurs commandes de livres, il y a un côté transmission de la culture entre les bibliothécaires et leurs publics et je suis très content de me dire que je fais partie de ce lien entre eux. Je mets ma petite pierre à l'édifice ! J'adore aussi découvrir les nouvelles parutions, les colis qui arrivent tous les matins sont comme des cadeaux de Noël.


Mavou : As-tu des petites anecdotes concernant ton métier ?


Julien Renaud : Il y a parfois des clients qui nous demandent des titres de livre qui n'ont rien à voir, ou alors parfois avec très peu d'indices, par exemple "je cherche un livre avec une couverture bleue" ou bien encore  "je cherche une pièce de théâtre où il y a trois femmes et quatre hommes dans le sud de la France." J'ai aussi eu une fois cette demande : "je cherche la Banque de Platon" (rires).


Mavou : Ah oui, pour le Banquet (rires) !


Julien Renaud : C'est marrant mais touchant. Il y a aussi parfois des personnes en détresse et qui viennent dans la librairie en demandant des livres pour aller mieux. Parfois c'est dur de cerner la personne, ce qu'elle recherche. Les personnes aussi viennent pas mal pour discuter et se confier. J'essaye de les aider, je leur prête une oreille quand je suis en librairie, même si je suis le plus souvent en extérieur.


Mavou : Oui car tu es donc beaucoup en lien avec les bibliothèques, est-ce qu'elles te semblent d'ailleurs similaires ou très différentes les unes des autres en terme de fonctionnement, d'organisation ?


Julien Renaud : Les bibliothèques universitaires n'ont rien à voir avec les bibliothèques municipales. Les bibliothèques municipales sont vraiment ancrées dans un territoire, par exemple, typiquement : Echirolles, c'est 35 000 habitants, deux bibliothèques, avec une population qui est très différente par rapport à Meylan, qui a moins d'habitants avec un niveau de vie plus élevé et qui a quatre bibliothèques avec plus de moyens. On le voit aussi dans les collections, différents choix sont faits. Par exemple, la bibliothèque du Sappey en Chartreuse n'a pas de gros budget et la bibliothécaire, qui est toute seule, pas à temps plein, est obligée de sélectionner ce qu'elle commande et doit faire des choix. Son budget lui permet deux livraisons par an et il ne faut pas qu'elle rate sa sélection. J'ai habité en Lorraine, il y a des communes avec peu d'argent mais avec une grosse population tout de même, et l'offre en bibliothèque n'est pas dingue. Cela dépend vraiment des communes !


Mavou : Personnellement, je vois les bibliothèques municipales comme des indicateurs de "santé" de leurs communes. C'est mon point de vue personnel, bien sûr. Je regarde les communes, et je me demande : est-ce qu'elles ont une bibliothèque municipale ou pas, et si la commune en a une, est-ce qu'elle propose des animations, est-ce qu'elle a suffisament de fonctionnaires pour fonctionner dans un climat serein, est-ce que le bâtiment est sain, est-ce que le personnel est à temps plein ou non, est-ce que les bibliothécaires ont suffisament de budgets pour leurs collections et organiser des évènements pour faire vivre la vie culturelle de leurs communes... Les bibliothèques municipales sont pour moi comme des thermomètres qui révèlent la température de leurs communes.


Julien Renaud : Oui, on peut dire ça ! Et aussi, est-ce que les élus des communes sont prêts à mettre du budget pour la culture et l'éducation ? Mes neveux qui habitent à Florange n'ont pas la même bibliothèque que mes enfants qui habitent Coublevie avec un niveau de vie assez élevé comme Meylan. C'est vraiment la question du niveau de vie ! Actuellement vers chez moi, les parents sont tous ingénieurs, médecins, notaires... Tu as peut-être déjà lu Nicolas Mathieu ?


Mavou : Je ne l'ai pas lu mais je sais que qu'il a eu le prix Goncourt en 2018.


Julien Renaud : Nicolas Mathieu parle de ma région d'origine dans son livre, nous avons eu une longue discussion ensemble, lui et moi. On s'est aperçus que l'on avait eu les mêmes profs et qu'on est allés à la même université ! C'est une région où il n'y a pas trop de perspective, avec peu d'argent, c'est très sinistrée. Dans les années 90, beaucoup ont perdu leurs emplois.


Mavou : En parlant d'auteur, est-ce que tu as des livres à nous conseiller, peut-être tes derniers coups de coeur ?


Julien Renaud : Je lis des choses assez classiques, je lis moins de littérature contemporaine. Je viens de terminer "Les Enfants Jéromine" de Ernst Wiechert. C'est une fresque familiale dans un village allemand avant la Première Guerre Mondiale. On suit une famille avec un héros principal, le petit dernier de la famille, qui va faire des études pour devenir médecin. C'est hyper beau, comme roman. C'est très long, ça fait plus de 1000 pages...


Mavou : 1000 pages (rires) ?!


Julien Renaud : Oui mais c'est très chouette comme roman ! J'aime beaucoup aussi le travail de Alexievitch, qui a eu le prix Nobel de littérature en 2015. Elle parle de la Russie, de la fin de l'homme rouge. Elle est d'ailleurs venue à Grenoble en 2015, c'était une rencontre incroyable. Après, je suis très littérature fin 19ème siècle, 1850-1920. J'adore aussi la littérature russe.


Mavou : Ma première lecture de l'année 2025 a été Anna Karénine de Tolstoï et j'ai adoré ! C'était une très belle lecture. Nous approchons de la fin de l'interview ! Est-ce que tu souhaites faire un petit coucou à des libraires ou à des bibliothécaires ?


Julien Renaud : Oui ! Je fais un coucou à notre ami en commun, Sylvain avec sa mobylette (NDLR : bibliothécaire à Seyssins), il est super ! Je fais un coucou à Manon, je l'adore (NDLR : bibliothécaire à Grenoble) ! À Solène aussi, bibliothécaire à Sassenage ! Je salue aussi les collègues bibliothécaires de La Tronche. Il y a vraiment des gens supers dans toutes les bibliothèques. Je souhaite aussi faire un coucou à Justine de Saint Martin d'Hères, et à Julie et Carole de la Bibliothèque d'étude ! Et je fais un coucou aussi aux personnes de l'Université, aux Bibliothèques Bulles, Lettres et Spectacle avec Gaëlle, Aurélie, Lou. Et à l'Arche, la Bibliothèque d'Histoire avec Jeanne.


Mavou : Un grand merci Julien de m'avoir accordé tout ce temps !



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