Interview avec Eléonore Delhomme, bibliothécaire et créatrice du podcast La Croqueuse de livres
- Mavou La Mauvaise Herbe

- il y a 3 jours
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Éléonore est bibliothécaire à la Bibliothèque municipale de Seyssinet-Pariset et créatrice du podcast littéraire "La Croqueuse de livres" créé en 2022, disponible sur toutes les plateformes de podcasts. Chaque épisode est une chronique de lecture au format court (entre 5 et 6 minutes environ). Vous pouvez la retrouver sur son site lacroqueusedelivrespodcast.fr ou sur Babelio @lacroqueusedelivrespodcast.
Mavou La Mauvaise Herbe : Bonjour Éléonore ! Qu'est ce qui t'a donc amené au métier de bibliothécaire ?
Éléonore Delhomme : Bonjour ! Lorsque j'ai lancé mon podcast La Croqueuse de livres en 2022, j'étais à ce moment-là en disponibilité de l’Éducation Nationale car j'étais auparavant professeur. Je cherchais un projet de reconversion professionnelle. C'est le fait d'avoir créé un podcast autour des livres qui m'a donné le déclic de travailler en bibliothèque. J'ai demandé d'effectuer un stage d'une durée de 2 semaines dans une bibliothèque à Grenoble. Durant ce stage, les bibliothécaires ont appris que j'animais un podcast autour des livres et m'ont conseillé de le valoriser dans mon parcours professionnel. C'est à ce moment-là aussi où j'ai eu l'idée de créer des marques pages de mon podcast La Croqueuse de livres pour communiquer dessus, j'en distribuais partout autour de moi et notamment en bibliothèques !
Mavou : C'est une très bonne idée ces marques-pages, je pense que je vais te piquer l'idée ! (rires). Tu étais professeur de français ?
Éléonore : Non, de Sciences économiques et sociales ! Je n'avais pas de lien avec la littérature. J'ai eu une période où j'ai eu une panne sèche avec les livres, je me suis mise alors à fréquenter un club de lecture animé par une amie pour me redonner un regain, ce qui a été le cas. J'ai réalisé ensuite que je lisais énormément et qu'un podcast me permettrait de conserver le souvenir de mes lectures.
Mavou : D'où le nom "La Croqueuse de livres" !
Éléonore : Tout à fait !
Mavou : Comment se sont passées tes première expériences dans le métier de bibliothécaire ?
Éléonore : Quand j'ai commencé mon stage, je n'avais aucune idée de ce que c'était de travailler en bibliothèque. J'ai été rassuré sur le fait qu'il y ait une grande variété dans ce métier. J'avais au départ très peur de m'ennuyer, parce qu'en tant que professeur, il y a énormément de missions variées. Et en fait, pas du tout ! Ce qui m'a marqué dans le métier, ce sont les différences entre les bibliothèques. Au début, j'étais dans le réseau des bibliothèques municipales de Grenoble, à la fois dans une bibliothèque de quartier et à la fois à la bibliothèque du centre-ville. En terme de public, d'énergie, de tâches à faire, cela n'avait rien à voir ! Par la suite, j'ai été un peu Bibliothèque d'étude et du patrimoine de Grenoble, et cela n'avait rien à voir non plus. Maintenant je suis dans une bibliothèque d'une plus petite ville (NDLR : Seyssinet-Pariset), et pareil, c'est très différent.
Mavou : Oui, il y a effectivement une très grande différence dans le métier de bibliothécaire selon l'endroit où la bibliothèque se trouve, que ce soit dans un village, une grande ville, un quartier...
Éléonore : Effectivement, déjà rien que pour la gestion des collections. Par exemple lorsque j'étais dans l'une des bibliothèques où j'ai travaillé, je gérais une partie plus ciblée des collections (les BD, les mangas et les romans ado) et maintenant à Seyssinet-Pariset j'en gère beaucoup plus. Les publics sont également très différents selon là où se trouve la bibliothèque, et ne viennent pas pour les mêmes choses. Après, le métier est tout de même très précaire. C'est dur de s'intégrer dans une équipe ou monter des projets lorsque tu ignores combien de temps tu restes. Maintenant, j'ai l'impression que je peux davantage m'investir à la Bibliothèque de Seyssinet-Pariset car j'ai un poste d'au moins 1 an. Je viens d'avoir le concours donc j'espère pour un peu plus que ça même !
Mavou : C'est vrai que les bibliothécaires qui ont des contrats courts ne peuvent pas se projeter et mettre en place des projets à long terme.
Éléonore : Oui, c'est embêtant à la fois pour les équipes et pour la personne avec un contrat à duré déterminée. J'ai eu des contrats de 6 mois sans bibliothèque attitrée, parfois moins, et pour le coup, j'ai été plutôt chanceuse car certains contractuels ont des renouvellements de contrat très court (moins de 3 mois) pendant de très longues périodes. Je pouvais me trouver là où on avait besoin de moi. Tu n'as donc pas vraiment le temps de connaitre le public et les équipes. Mais malgré tout cela s'est très bien passé, même s'il y avait ce côté précaire en ne sachant pas comment ni quand va se renouveler le contrat.
Mavou : Beaucoup sont dans ce cas-là, c'est très répandu. Est-ce qu'il y a un aspect du métier que tu trouves méconnu par le public ?
Éléonore : Il n'y a pas longtemps, une personne était étonnée qu'il y ait des nouveautés dans les bibliothèques ! Elle pensait que cela fonctionnait comme pour les cinémas. Par exemple, tu as le film qui sort au cinéma et ensuite il sort en DVD au bout d'un certain temps.
Mavou : Elle pensait que les bibliothèques étaient concernées par la chronologie des médias ?
Éléonore : Oui voilà alors que pas du tout, sachez qu'il y a des nouveautés dans les bibliothèques ! (rires). Aussi autre chose de méconnu du public : quand la bibliothèque est fermée...(rires)
Mavou : Je vois exactement ce que tu vas dire (rires)...
Éléonore : Quand la bibliothèque est fermée et qu'il y a des bibliothécaires à l'intérieur, ils ne sont pas en train de lire ou de penser dans le vide (rires), on fait pleins de choses, par exemple accueillir des classes, préparer des animations, on s'occupe des acquisitions des livres, etc... il y a une vie professionnelle autre que l'accueil du public !
Mavou : Quand j'étais bibliothécaire à Seyssins et que l'on était fermé au public mais que je devais être à l'intérieur, par exemple pour faire du désherbage (NDLR : enlever définitivement des rayons des livres très peu voire jamais empruntés pour diverses raisons), préparer une animation ou autre, je travaillais dans le noir. Je m'éclairais avec la lumière de mon téléphone portable parce que si j'allumais les lumières de la bibliothèque, les personnes pensaient que c'était ouvert et essayaient de rentrer ou toquaient sans cesse aux portes (rires).
Éléonore : Autre chose de méconnu, il y a aussi le portage à domicile, je ne sais pas si les gens sont vraiment au courant de ce que c'est. Lorsque quelqu'un ne peut pas se déplacer jusqu'à la bibliothèque pour une raison ou pour une autre, par exemple parce que tu t'es blessé la jambe, tu t'es fait opéré, parce que tu es une personne âgée qui n'a plus beaucoup de mobilité, etc., il existe le service de portage à domicile dans beaucoup de bibliothèques. La personne téléphone, choisie les livres qu'elle souhaite emprunter et une bibliothécaire se déplace pour le lui apporter. Être bibliothécaire, ça veut dire : aller vers les gens. Même si c'est juste pour une seule personne, on prend le temps d'aller la voir et d'amener la bibliothèque à elle.
Mavou : Oui, c'est du service public. Nous ne sommes pas dans une logique de rentabilité à tout prix. Du moins pas encore... As-tu une anecdote, un souvenir marquant lié à ton métier ?
Éléonore : Je gère les romans de science-fiction, ils ne sont pas souvent empruntés car un peu cachés dans la bibliothèque. On possède quelques vieilles éditions de livres qui ne donnent pas vraiment envie, et qui sont aujourd'hui réédités dans de magnifiques couvertures. Ces livres sont redevenus des best-sellers, mais les usagers ne les reconnaissent pas dans nos rayons. Cet été, j'ai donc décidé de les sortir et de les mettre en présentation. J'ai écris et collé des avis positifs sur les livres pour susciter l'envie de les emprunter. Sur un des romans de science-fiction, j'ai écrit "à l'aide, c'est ma dernière chance, la bibliothécaire veut se débarrasser de moi" (rires). Une dame a fini par emprunter "Seule dans l'espace" de S.K Vaughn, ce livre ne sortait pas et j'envisageais de l'enlever définitivement des rayons. Elle est revenue ensuite me voir en me disant que le livre était super et qu'elle était contente de l'avoir lu ! J'adore quand les usagers viennent me voir pour me dire qu'ils ont adorés une lecture, et là d'autant plus qu'il était vraiment à deux doigts de sortir définitivement des rayons.
Mavou : J'ai mis en place une technique aussi pour sauver des livres qui étaient sur le point d'être enlevés définitivement, mais c'était un peu plus fourbe (rires). Aux alentours de Noël, j'emballais les livres très peu ou jamais empruntés dans des papiers cadeaux en argumentant que c'était des "livres surprises à emprunter". J'écrivais quand même des mots clés sur l'emballage. Et ça fonctionnait, les usagers étaient intrigués et les livres sortaient.
Éléonore : C'est une bonne idée, je la retiens !
Mavou : Question un petit peu complexe : comment vois-tu l'évolution des rôles des bibliothèques ?
Éléonore : J'ai travaillé dans une bibliothèque conçue comme un lieu "mixte" avec du sport, de la culture, du jeu-vidéo, des DVD... Actuellement, à la bibliothèque de Seyssinet-Pariset, il n'y a que des livres pour l'instant. Mais les usagers ne viennent pas uniquement pour la lecture, beaucoup se donnent rendez-vous à la bibliothèque ou viennent pour se mettre au chaud en attendant de se rendre ailleurs. Pour moi, la bibliothèque est un lieu ressource. Il y a besoin aujourd'hui d'avoir un lieu gratuit où se poser, d'être au chaud. Effectivement, la bibliothèque devient de plus en plus autre chose que simplement un lieu avec des livres dedans, c'est un lieu de culture en général avec un rôle social qui est de plus en plus identifié. Nous ne sommes pas là uniquement pour accueillir des gros lecteurs.
Mavou : Je suis tout à fait d'accord. Je reviens sur ton podcast "La Croqueuse de livres", j'ignorais que c'était ce qui t'avait donné envie de te lancer dans le métier de bibliothécaire, je pensais que c'était l'inverse !
Éléonore : Oui ! C'est une podcasteuse du coin qui m'a donné l'envie de créer La Croqueuse de livres. Elle a un podcast qui s'appelle "La Page sensible", que j'ai découvert grâce au fait qu'elle a créé et distribué des marques pages de son podcast pour en faire la publicité. Ça m'a un peu intrigué et j'ai trouvé les épisodes supers, elle parle d'écriture. Elle a d'ailleurs écrit un livre dont je vais bientôt parler dans mon podcast ! C'est elle qui m'a donné des conseils sur les plateformes, les diffusions, la communication sur Instagram, etc... afin de passer le cap !
Mavou : J'ai vu que le dernier épisode de La Croqueuse de livres a été publié en février 2025, est-ce une pause ?
Éléonore : Oui c'est une pause, j'ai eu une année chargée car je passais les concours des bibliothèques, et également, juste avant d'être à Seyssinet-Pariset, j'ai eu pas mal de rebondissements professionnels et personnels pas très agréables. J'étais aussi mobilisé sur le Printemps du livre (NDLR : grand évènement annuel sur plusieurs jours organisé par le réseau des Bibliothèques municipales de Grenoble), donc c'était bien chargé en évènements ! Mais je compte bien reprendre le podcast.
Mavou : Ton podcast existe donc depuis 2022, comment a-t-il évolué ?
Éléonore : Mon tout premier épisode est mignon mais il possède quand même quelques maladresses. Marion, qui est donc la podcasteuse de la Page sensible, m'avait dit "moi je mets des petits tirets, je parle et je coupe au montage". J'ai voulu faire de même mais cela ne fonctionne pas avec le format très court que j'ai choisi. Il faut que ça accroche tout le temps ! J'avais aussi beaucoup d'hésitation dans mes phrases. Depuis, j'ai appris et j'ai donc changé de méthodologie. Maintenant, j'écris les épisodes un peu plus vite. A chaque épisode, je lis un extrait du livre chroniqué, je fais un petit résumé, je dis ce que j'ai aimé, je donne la raison pour laquelle il faut lire ce livre et je conclus. Ce qui a changé aussi, c'est la communication Au début, je m'en étais occupée moi-même et j'avais fait mon propre logo avec l'image une petite fille avec des couettes. Le problème c'est que beaucoup pensait que je chroniquais uniquement de la littérature jeunesse ou alors on pensait que c'était une petite fille qui allait parler au micro ! C'est finalement un ami qui a fait mes visuels de La Croqueuse de livres, je lui ai demandé des couleurs peps du genre rose framboise avec du jaune et je me suis rendue compte que ça ressemblait au thème de mon ancien Skyblog ! (rires)
Mavou : Une relique du passé !
Éléonore : Au début de La Croqueuse de livres, j'étais dans ma bulle avec un petit peu la Page sensible en satellite et puis nous avons officialisé notre partenariat quand nous avons travaillé ensemble pour le Printemps du livre en 2024. Nous avons interviewé deux auteurs, Julia Malye et Sylvain Prudhomme.
Mavou : Est-ce que tu étais stressée lors de ces interviews ?
Éléonore : Oui quand même, je ne connaissais déjà pas du tout Sylvain Prudhomme donc j'avais lu son livre pour préparer l'interview et je m'étais renseignée sur lui. C'est une pointure dans le milieu ! Après cela s'est bien passé, lui et Julia Malye m'ont tous les deux mis rapidement à l'aise. C'était une chouette expérience qui m'a permis d'oser de me lancer dans d'autres partenariats par la suite. C'est aussi à ce moment là que j'ai décidé de distribuer des marques pages La Croqueuse de livres un petit peu partout !
Mavou : Toujours ces marques pages ! (rires)
Éléonore : Oui je suis un poil insistante avec mes marques pages (rires)...
Mavou : Vous qui nous lisez actuellement, si jamais vous tombez un jour sur des marques pages Mavou La Mauvaise Herbe, sachez que ça vient de cette interview (rires). Et depuis, tu as mené d'autres interviews d'auteurs ?
Éléonore : Oui ! En un an, donc entre 2024 et 2025, j'ai mené beaucoup d'interviews d'autrices en tant que bibliothécaire : Florence Hinckel, Marie Kock, Titiou Lecoq et Christelle Dabos. Je pense que j'ai eu toutes ces opportunités incroyables grâce au fait que j'ai de l'expérience avec le podcast La Croqueuse de livres. J'adore ça et c'était vraiment incroyable comme expérience, j'aurais d'ailleurs pu t'en parler dans les trucs fou que m'a permis ce métier ! C'est marrant, quand tu m'as parlé de choses marquantes, j'ai pensé à la dame qui a emprunté et adoré le livre Seule dans l'espace alors qu'animer des entretiens avec Christelle Dabos ou Florence Hinckel, c'était fou quand même (rires) !
Mavou : Nous approchons de la fin de l'interview, as-tu des conseils de lecture, des coups de coeur à nous partager ?
Éléonore : Je viens de finir un livre qui s'appelle Nettle and Bone : Comment tuer un prince, d'Ursula Vernon, parfait pour être dans l'ambiance d'Halloween, un peu gothique. C'est une sorte "d'anti conte de fée" qui est très immersif. Et sinon je viens de commencer Emma de Jane Austen, traduit par Clémentine Beauvais. En jeunesse, j'ai eu un coup de coeur BD jeunesse, ça s'appelle Quand la nuit tombe de Marion Achard. Ca se passe durant la seconde guerre mondiale, on suit deux soeurs qui sont juives et qui vont se cacher en Chartreuse. Sur ce thème, j'ai beaucoup aimé la BD pour adulte "Madeleine, Résistante". Et en coup de coeur au niveau des essais, le livre Enfin seule de Lauren Bastide, sur la solitude des femmes. J'ai pensé à toi aussi car sur tes conseils j'ai lu Les Enfants loups de Vera Buck, qui m'a traumatisé (rires) !
Mavou : Ah oui (rires) ?! Qu'est ce qui t'a tramautisé ?
Éléonore : C'est une ambiance huit-clos si oppressante, et pourtant ça se passe au grand air à la montagne !
Mavou : Oui exactement, je ne suis pas étonnée que ce soit les éditions Gallmeister qui aient publié ce polar, ils sont spécialisés dans les descriptions de paysages magnifiques et des grands espaces en général, c'est ça qui est intéressant et paradoxale dans ce livre. Est-ce que tu souhaites faire un petit coucou à des bibliothécaires ou à des libraires ?
Éléonore : Je fais un coucou à notre copine en commun, Manon (bibliothécaire à Grenoble). Ce qui me fait rappeler que, lorsque j'étais encore en disponibilité, j'ai fais la liste de tous mes amis qui étaient heureux dans leur travail pour me donner des idées de reconversions professionnelles. Manon en faisait partie ! Je salue mes collègues de Seyssinet-Pariset, notamment Gaële, ainsi que mes anciens collègues de Grenoble, notamment ceux du Printemps du Livre. Je fais un big-up aussi à Capucine, qui est la personne qui m'a prise en stage en 2023 et m'a permis de mettre un pied dans le milieu (et je n'en suis pas sortie depuis !). Et puis, même s'ils ne sont pas bibliothécaires, mon amoureux, ma famille et mes ami.e.s qui m'ont beaucoup soutenu dans ma reconversion, c'est toujours éprouvant! Ce sont aussi les premiers fan du podcast. Et merci Mavou pour ce bel entretien !
Mavou : Merci beaucoup Éléonore !



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